Avec une langue aussi aiguisée que les couteaux qu’il livre, il aiguise des couteaux depuis l’âge de 15 ans et ne peut imaginer faire autre chose.
Il habite sur la rive sud, mais venait presque tous les jours dans la capitale (cela fait longtemps qu’on ne l’a pas vu ici), où il a déjà quelques clients.
La dernière fois que nous l’avons vu, c’était dans le Bairro Alto et, tout en sirotant un impérial et en aiguisant un couteau, il a commencé à partager les histoires et les souvenirs qu’il a de cette vie.
Lisboa Secreta (LS) : Depuis combien d’années aiguisez-vous des couteaux et des ciseaux à Bairro Alto ?
Manuel Loureiro (ML) : Ui ! Je ne peux même pas m’en souvenir. Des années ! Je fais cela depuis que j’ai 15 ans, soit depuis presque 45 ans. Mais je viens ici depuis 25 ans ou plus.
LS : Le quartier a-t-il beaucoup changé depuis ?
ML: Beaucoup, bien sûr. Avant, c’était vraiment les femmes qui vivaient ici. Maintenant, il n’y a plus que des « camones ». Quatre et cinq dans le même appartement.
LS : Votre travail a-t-il également beaucoup changé ? Qu’est-ce qu’on vous demande de faire maintenant ?
ML: Avant, je travaillais beaucoup plus, notamment parce qu’on me donnait des parapluies et qu’il y avait plus de ciseaux. Aujourd’hui, j’ai toujours deux ou trois tailleurs, mais il n’y a pratiquement plus que des couteaux.
LS : J’ai remarqué que vous aimiez boire une impériale pendant que vous travaillez…
ML : Savez-vous pourquoi ? Les pistons commencent à manquer d’huile et la bière aide à les huiler.
LS : Il y a de moins en moins de broyeurs à Lisbonne…
ML : Pour autant que je sache, il n’y en a que trois ou quatre dans la région de Lisbonne/Almada. Moi, mon frère et deux autres amis.
LS : Quel est le secret d’un bon affûteur ?
ML : C’est de savoir comment affûter. Par exemple, savoir faire une demi-canne, c’est-à-dire amincir le couteau ou les ciseaux.
LS : Combien demandez-vous pour l’aiguisage d’un couteau ?
ML : C’est généralement 2€/2,5€, mais j’accorde toujours une réduction aux bons clients. Parfois, on m’offre aussi le déjeuner. Une main lave l’autre.
LS : Pouvez-vous nous raconter des épisodes amusants ?
ML : Je vais vous raconter une histoire vraie. Une fois, j’ai donné un couteau à un gitan qui l’a utilisé pour couper le visage de quelqu’un d’autre. À cause de la drogue, vous voyez. Il m’a dit : « Adoucis le couteau pour moi, Manel ». Je l’ai fait et il a coupé le visage de l’homme ! C’est une histoire vraie. Cela s’est passé dans le quartier du Pic jaune, sur la rive sud.
LS : Le Bairro Alto est plein de touristes. Que vous disent-ils lorsqu’ils viennent travailler ?
ML : Ils prennent mille photos de moi par jour. J’ai déjà mis un papier qui dit « 1 euro pour chaque photo », mais ils ne paient pas. Ce serait bien s’ils le faisaient ! Ainsi, lorsque je vais à Belém, les « camones » n’arrêtent pas de prendre des photos.
LS : Outre Bairro Alto et Belém, visitez-vous aussi d’autres quartiers ? Où préférez-vous travailler ?
ML : Je vais dans toute la ville : Bairro Alto, Madragoa, Mouraria, Alcântara… Demain, par exemple, je vais au marché aux poissons de Calçada da Ajuda pour aiguiser les couteaux des poissonniers. Je préfère travailler dans les quartiers historiques, où je suis plus connu et où j’ai plus de clients. Par exemple, ici au Bairro Alto, 50 aiguiseurs peuvent passer, mais ils ne me donnent que les couteaux.
LS : Pouvez-vous vous imaginer être un aiguiseur de couteaux pour toujours ?
ML : Bien sûr. Ici, c’est moi qui commande. Je suis mon propre patron. Et alors que d’autres personnes vont à la salle de sport et doivent payer, ils me paient toujours pour faire mon fitness, qui consiste à tourner la roue du vélo.